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Appel à communications pour le colloque international « Identité(s) en voyage à l’époque moderne (XVIe-XVIIIe siècles) »
Du 25 novembre 2024 au 20 janvier 2025
S’intéresser à l’individu paraît contradictoire avec la vocation informative qui semble être prioritairement attachée au récit de voyage. Or, les connaissances géographiques et ethnographiques diffusées dans le genre viatique sont le fruit d’une expérimentation du sujet voyageur qui imprime indéniablement sa marque au récit. C’est cette composante personnelle du récit de voyage que ce colloque souhaite interroger, dans la lignée du volume dirigé par Philippe Antoine et Vanezia Pârlea de 2018 qui étudiait les liens entre le voyage et l’intimité, ou plus récemment l’étude de Gilles Montegre s’intéressant particulièrement aux émotions des voyageurs (2024). Les émotions et sentiments personnels dont les voyageurs témoignent dans leur récit ne constituent toutefois que la face privée d’une identité plurielle qui peut ressortir à différentes sphères – religieuse, nationale, politique, etc. –, et qui est largement conditionnée par le statut même du voyageur (missionnaire, marchand, diplomate, ou encore simple curieux).
Ainsi, l’une des premières ambitions de ce colloque est de circonscrire les contours de l’identité du voyageur, complexe et multiple, et d’appréhender les éventuelles mutations identitaires engendrées par l’expérience du voyage. Les longs séjours au sein de sociétés autochtones – qu’ils soient contraints ou consentis – favorisent par exemple un processus d’acculturation chez les voyageurs, qui adoptent certains usages étrangers, parfois jusqu’au retour dans leur pays. En outre, le voyage agit parfois comme un révélateur ou un catalyseur, conduisant les voyageurs à se révéler ou à affirmer une facette d’eux-mêmes : c’est par exemple en France Antarctique que Villegagnon révèle son catholicisme (Léry, 1578). La fréquentation d’autres nationalités, notamment dans les espaces orientaux très cosmopolites, peut aussi conduire les voyageurs à s’identifier à une communauté qui transcende les frontières nationales, dont il s’agira également d’interroger les critères (confession, caractéristiques physiques, alliances politiques, etc.). En outre, le déplacement dans des contrées étrangères peut nécessiter un travestissement identitaire de la part des voyageurs, qui déploient des stratégies pour voyager incognito que détaillent par exemple les arts de voyager (Lipse, 1578).
Par ailleurs, l’identité du voyageur transparaît dans l’écriture de l’ailleurs, comme l’ont étudié les contributions du colloque organisé par Sarga Moussa et Małgorzata Sokołowicz en avril dernier sur la question de l’autobiogéographie[1], c’est-à-dire sur l’articulation entre l’écriture de soi et celle de la géographie. Le récit de voyage, même dans ses descriptions de populations et de contrées étrangères, révèle quelque chose de l’identité et la personnalité de son auteur. Il s’agit d’un discours situé dans le creux duquel affleurent les goûts du voyageur, sa sensibilité religieuse, sa position vis-à-vis du pouvoir politique, ou encore ses opinions.
Une prise en compte des circonstances d’écriture des textes s’avère par ailleurs nécessaire pour interroger la place de l’identité dans les récits de cette époque, parfois co-rédigés par un tiers : outre le cas bien connu du Journal de voyage de Montaigne, dont une partie est écrite par son secrétaire, de nombreux voyageurs, comme Pyrard de Laval, Jean Mocquet ou encore Tavernier, recourent à des ghost writers ou « rédacteurs » (Holtz, 2011) pour mettre en forme leur expérience vécue. A contrario, la structure autodiégétique de la narration ne garantit pas l’accès à l’identité du voyageur, celui-ci pouvant user de stratégies de dissimulation pour se soustraire au contrôle d’instances notamment politiques ou religieuses.
La période d’étude retenue commence avec le XVIe siècle, moment où Friedrich Wolfzettel voit l’émergence dans le genre viatique d’un « discours parfois fortement personnalisé[2] », du fait de la place importante que l’expérience y occupe, et s’étend jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, seuil d’une nouvelle modernité dans laquelle la question d’identité prend une autre dimension, en partie du fait des bouleversements politiques, sociaux et esthétiques de la fin de l’Ancien Régime, mais aussi de la multiplication des expéditions scientifiques, qui définissent un nouveau type de sujet. Concernant les zones géographiques prises en compte, il sera principalement question des territoires considérés comme lointains par les voyageurs européens de l’époque (les Indes orientales et occidentales, le continent africain, etc.), mais aussi des contrées plus proches, intra-européennes, qui peuvent également donner lieu à un sentiment de dépaysement (l’Italie pour Montaigne ou l’Espagne pour Madame d’Aulnoy par exemple). Si les récits de voyage authentiques constituent un corpus privilégié pour explorer ces interrogations, les propositions d’intervention portant sur des textes – notamment fictionnels – inspirés de voyages réels ou témoignant d’une réception de voyages contemporains seront les bienvenues. Enfin, dans le souci de favoriser un dialogue fécond entre plusieurs disciplines, les contributions s’inscrivant dans d’autres disciplines que les études littéraires, comme l’histoire, seront appréciées.
Axes suggérés
- Identité et intimité. L’écriture des émotions et des sentiments générés par le voyage soulève la question de l’intimité du voyageur, comprise dans un sens privé, et interroge également la question des rapports entre récit de voyage et autobiographie.
- Écriture de l’identité. Si l’accès à l’intimité et plus largement à l’identité du voyageur peut être difficile dans les récits ne relevant pas d’une narration homodiégétique, le recours à la première personne du singulier ne garantit pas non plus l’accès à celle-ci, le voyageur pouvant user de stratégies littéraires de dissimulation ou de travestissement identitaire. Le décalage temporel qui sépare l’écriture du voyage en lui-même – qui dure parfois plusieurs années – peut également conduire le voyageur devenu auteur à prendre ses distances avec son moi passé, voire à l’ériger en personnage.
- Une identité en mouvement. L’expérience viatique peut impliquer des mutations identitaires, avec des phénomènes de travestissement, d’acculturation – qui peuvent parfois être perçus comme une forme d’« ensauvagement » –, ou au contraire de repli identitaire au contact de l’altérité, qui peut prendre la forme de discours nationalistes.
- Identité européenne et cosmopolitisme. Est-ce que la fréquentation d’autres Européens conduit les voyageurs à s’émanciper de leur appartenance nationale pour s’identifier à un ensemble plus large ? Accèdent-t-ils à une forme de cosmopolitisme, à la manière de Montaigne qui déclare que « tout ciel [lui] est un[3] » ? Une identité européenne se dessine-t-elle dans les textes ?
- Savoirs et identité. L’étude de la place et de la part de l’identité du voyageur dans les discours scientifiques d’ordre géographique, naturaliste ou encore ethnographique, ainsi que dans le discours philosophique (moral ou politique) s’inscrira pleinement dans les problématiques de ce colloque.
D’autres réflexions pourront venir étayer les axes de recherche de cette problématique.
Modalités de participation
Les propositions de communication d’environ 300 mots accompagnées d’une brève biobibliographie sont à envoyer aux organisatrices avant le 20 janvier 2025. Le colloque aura lieu les 12 et 13 juin 2025 à l’ENS de Lyon. Les frais d’hébergement seront pris en charge par les organisatrices.
Adresses de contact : mathilde.mougin@ad.universite-lyon.fr et susana.seguin@ens-lyon.fr
[1] Colloque international « Littérature de voyage et autobiogéographie, XIXe-XXIe s. », colloque international organisé par Sarga Moussa et Małgorzata Sokołowicz, Université Sorbonne Nouvelle, 25 et 26 avril 2024.
[2] Friedrich Wolfzettel, Le discours du voyageur : pour une histoire littéraire du récit de voyage en France, du Moyen Âge au XVIIIe siècle, 1. éd, Paris, PUF, coll. « Perspectives littéraires », 1996, p. 47.
[3] Michel de Montaigne, « De la vanité », Les Essais, Paris, Librairie générale française, coll. « La Pochothèque », p. 1519‑1520
Téléchargements
- texte de l'appel (PDF, 242 Ko)
À lire aussi
Comité scientifique
Mathilde Mougin (Université de Lyon, LabEx COMOD, IHRIM)
Sylvie Requemora (Aix-Marseille Université, IUF, CIELAM)
Susana Seguin (Université de Montpellier, IUF, IHRIM)
Matthias Soubise (ENS de Lyon, IHRIM)
Nathalie Vuillemin (Université de Neuchâtel)