Publié le 4 décembre 2024 | Mis à jour le 4 décembre 2024

Œuvres complètes de Montesquieu, t. XIV-XV: Mes pensées

 

La Société Montesquieu et l’IHRIM, associés pour publier les Œuvres complètes de Montesquieu, annoncent la publication des Pensées en deux tomes (t. XIV-XV, 1235 pages + 116 pages d’introductions). Ces volumes, fruit d’un travail de dix ans par une équipe internationale et interdisciplinaire, constituent une partie essentielle de cette entreprise.

Ce recueil manuscrit en 3 volumes (1 500 feuillets de la main de Montesquieu et de ses secrétaires), conservé à la bibliothèque municipale de Bordeaux, présente les réflexions, remarques, rejets de rédaction sur près de 25 ans : son rôle est donc essentiel dans l’élaboration de l’œuvre de Montesquieu, et pour étudier sa pensée en elle-même, car il contient nombre de développements qu’il ne souhaitait pas rendre publics.

Les textes ont été annotés conformément aux principes en vigueur pour les Œuvres complètes de Montesquieu : identification des personnages mentionnés, des sources explicitées ou implicites, explicitation et approfondissement des passages présentant difficulté, développement du contexte historique et intellectuel nécessaire à l’interprétation, insertion dans la démarche intellectuelle de Montesquieu. L’annotation est destinée aux chercheurs et permet une pleine exploitation sur les plans historique, philosophique, politique, littéraire.

L’examen du manuscrit a constitué une étape décisive : grâce à l’expérience acquise sur le Manuscrit de travail de L’Esprit des lois et le dossier génétique de cet ouvrage, mais aussi sur l’ensemble d’un corpus manuscrit de plusieurs dizaines de milliers de feuillets, il a été possible de combiner l’étude des « mains » des secrétaires et celle des papiers. Les résultats en ont été décisifs : une des principales nouveautés de cette édition est la rupture avec le cadre chronologique qu’on attribuait jusque-là aux Pensées. En effet ce recueil a été constitué à partir de 1731, au retour du voyage en Europe (et non avant), et ne suit pas avec régularité la chronologie de ses secrétaires, comme on le croyait (il est constitué par vagues successives, en général à la fin du service de chaque secrétaire). Cela modifie considérablement l’interprétation de nombreux développements, notamment au début du premier volume manuscrit, mais aussi plus ou moins fortement pour l’ensemble.

Cela a aussi permis de faire émerger des ouvrages « fantômes », qui ne subsistent que dans les Pensées : Traité des devoirs, « De la liberté politique » (identifiés par les premières éditions des Pensées mais restreints à quelques articles, alors que le premier était mal distingué des « Pensées morales », et que le second constitue la matrice des chapitres « anglais », XI, 6 et XIX, 27 de L’Esprit des lois), ou encore « Dissertation sur la différence des génies », dont on découvre qu’il s’agit de la dernière version de l’Essai sur les causes.

A été également identifié dans le troisième volume manuscrit un « Traité du prince » que les précédentes éditions n’avaient pu distinguer, faute d’en avoir reconnu la continuité et la forte cohérence thématique, et qui de ce fait était traité comme un résidu d’œuvres antérieures, alors qu’il constitue une véritable somme politique copiée vers 1750.


Les Pensées ne peuvent donc plus être considérées seulement comme un témoin de l’archéologie du texte, mais en constituent désormais un outil, tout en faisant pleinement partie de l’œuvre.

Une autre nouveauté est la publication des fragments subsistants d’un 4e volume manuscrit, inconnu à ce jour, grâce à une copie du XVIIIe siècle conservée par les descendants d’un proche de Montesquieu.

Grâce à ces nouvelles perspectives, l’annotation peut être beaucoup plus approfondie. La mise en relation avec les autres œuvres de Montesquieu a été particulièrement développée : alors que depuis la première publication (1899-1901), on pouvait se contenter de rapprochements avec tel passage des Considérations sur les Romains ou de L’Esprit des lois ou d’autres œuvres, le rapport précis est explicité en fonction de la date, et avec l’appui du travail effectué sur ces ouvrages. L’édition des Pensées bénéficie en effet de l’apport des Œuvres complètes imprimées, des travaux en cours, notamment avec l’édition de L’Esprit des lois, prochainement achevée, et de l’édition numérique lancée en 2016, qui a renouvelé l’approche de plusieurs ouvrages publiés avant 2010 et fournit désormais l’édition du Manuscrit de L’Esprit des lois et d’une grande partie du dossier génétique de cet ouvratge (https://montesquieu.huma-num.fr).

Les connaissances acquises et consolidées depuis des années par l’équipe d’édition ont aussi permis d’en finir avec des schémas interprétatifs simplistes : ainsi, ce qui est sommairement intitulé par Montesquieu « Histoire de France » (article n° 1302, long de plusieurs dizaines de pages) doit en fait être lu comme une histoire de l’autorité royale ou des fluctuations de la liberté, donc comme des considérations d’ordre politique. Ce seul exemple donne la mesure d’un renouvellement dont les implications sont développées au long d’une introduction d’une centaine de pages, qui donne les clés nécessaires pour tirer le meilleur parti du foisonnement des Pensées.

Ce volume a été dirigé par Catherine Volpilhac-Auger, professeur émérite de littérature française à l’ENS de Lyon, directrice des Œuvres complètes de Montesquieu et membre de l’IHRIM.

Les contributeurs sont Denis de Casabianca (Marseille), Christophe Martin (Paris-Sorbonne, CELLF), Myrtille Méricam-Bourdet (Lyon 2, IHRIM), Nadezda Plavinskaia (Académie des sciences, Moscou), †Pierre Rétat (Lyon 2, IHRIM), Céline Spector (Paris-Sorbonne, SND), Philip Stewart (Duke University, Durham USA), Jean Terrel (Bordeaux-Montaigne), Christine Théré (CNRS-INED), Catherine Volpilhac-Auger (ENS de Lyon, IHRIM).

Tous ont déjà participé à l’édition de Œuvres complètes de Montesquieu et sont des spécialistes reconnus de son œuvre (outre leurs propres publications, ils ont aussi fortement contribué au Dictionnaire Montesquieu). Il a paru notamment indispensable de faire appel à des historiens (Ch. Théré et N. Plavinskaia), compte tenu de la nature spécifique des Pensées (c’est aussi un des apports de cette édition que le renforcement de cet aspect, méconnu jusque-là).

Ces deux volumes comprennent en outre près de 80 pages d’index (des noms propres, des principaux thèmes et sujets traités, des œuvres de Montesquieu mentionnées par Montesquieu lui-même ou par l'annotation).

La publication en deux volumes, plus coûteuse, a été rendue possible par une importante contribution du baron de Montesquieu. Elle a également été soutenue financièrement par la Richard Lounsbery Foundation (programme « From “enlightened prince” to “enlightened despot” : from Montesquieu to Catherine II », IHRIM) et par la Société Montesquieu.

L'ouvrage, présenté à la bibliothèque municipale de Bordeaux, le sera le 7 février à Paris (University of Chicago John W. Boyer Center in Paris).

 

Pour en savoir plus : https://montesquieu.huma-num.fr/editions/esprit-des-lois/manuscrit/presentation